Posture de facilitation-participation : Comment bien le gérer ?

Participer et faciliter en même temps dans un groupe, quels sont les enjeux et les difficultés ? Ce 3e épisode répond à ce questionnement.

Nathalie Esain, Christelle Fournier et Christian Wirth discutent sur des sujets liés au travail d'équipe, la gestion de projet, les démarches collectives et citoyennes.

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Nathalie Esain : https://stratebioz.com/

Christelle Fournier : https://www.christellefournierpermaculture.com/

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Facilitateur-participant, peut-on l’être par choix ? et pourquoi différencier les deux?

Vous arrive-t-il de faire partie de rencontres ou de réunions dans lesquelles il n’y pas de structure, pas d’organisation, pas de rythme, pas assez de temps pour aborder des points importants et bien d’autres?

Vous est-il déjà arrivé d’assister à une rencontre dans un groupe qui n’était animé par personne?

Peut-être que personne ne souhaitait animer ou que la personne n’était pas clairement définie? Cela peut arriver par exemple dans un groupe de bénévoles ou dans une entreprise, sur un projet particulier. À ce moment-là, il n’y a pas de garde-fou et personne pour réguler les échanges, pour ramener le groupe au sujet principal, pour ajuster la méthode afin de nourrir la créativité du groupe s’il a du mal à atteindre l’objectif.

Il existe tout un spectre de situations où une personne d’un groupe peut se retrouver dans le rôle d’animation. Cela peut être ponctuel pour faciliter une situation qui manque de fluidité ou définitif, jusqu’au bout de la rencontre. Cela peut-être implicite, sans l’accord du groupe ou explicite avec son consentement.

Si un·e des participant·e (et d’autant plus si c’est un·e gestionnaire) prend alors le rôle d’animation, tout en ayant encore sa fonction de participant·e, cette personne se retrouve dans une situation de prise de pouvoir complexe.

Les enjeux de pouvoir

Cette posture de pouvoir est délicate car cette personne va réguler et faire respecter les règles du jeu au groupe, tout en autorégulant ses propres élans de participant·e.

Elle se trouve en position de pouvoir, ce qui peut provoquer ce que l’on nomme une situation de type “triangle de Karpman”. Ce dernier décrit les 3 types de posture relationnelle, étant persécutrice, victime et sauveuse.

Dans la situation ou un·e participant·e devient facilitatrice·eur, il peut se retrouver malgré lui à son désavantage dans l’un de ces rôles. Prenons comme exemple le partage de la parole. Si la méthode ou les interventions de la personne participante-facilitatrice sont considérées comme injustes ou inadaptées par les autres, alors le groupe peut vivre un sentiment d’injustice et percevoir la personne qui facilite comme persécutrice.

La personne en position de facilitation peut aussi ressentir le stress impliqué par le partage équitable du temps de parole, tout en étant face à des participant·es qui n’osent pas intervenir, ou qui au contraire, ont beaucoup d’élan. Quel est le bon moment pour demander à une personne, qui monopolise la conversation, si elle a partagé l’intégrité de son idée? Jusqu’à quel point peut-on solliciter les personnes moins à l’aise à partager leurs avis (parce qu’elles n’ont rien à dire ou qu’elles ont peur de partager) afin de ne pas y aller aux forceps ?

Si l’une des personnes participantes voit son avis discrédité par le groupe, ou qu’on lui coupe la parole, celui ou celle qui se place en situation de facilitation, s’il cherche à défendre cette personne d’une façon ou d’une autre, se retrouvera dans un rôle de sauveur. Cette posture est maladroite car nous ne pouvons être des super-héros ayant à prendre en charge le bien-être de tous.

Et enfin, si la personne bascule de son rôle de facilitation à celui de participation, elle peut ne pas se sentir écoutée ou sentir de la difficulté à partager ses propres idées. Elle peut alors se retrouver en position de victime.

La situation est vraiment complexe, car nécessairement, si la personne facilitatrice est coincée dans un rôle, les autres se retrouvent dans les rôles opposés au sien.

Sans oublier qu’avec ces enjeux de pouvoir, se pose parfois la question de la légitimité de la posture d’animation. Il s’agit de légitimité pour soi, comme de légitimité pour l’autre. Comment et qui suis-je pour définir quand les gens ont le droit de parler, et inversement, qui es-tu pour me donner le droit de parole ou pas?

Les enjeux personnels

Inévitablement, prendre la posture de facilitation sous tend d’avoir bien en tête des règles du jeu pour les réguler, pour les autres comme pour soi, tout en ayant une bonne gestion de ses émotions afin de faire face à la complexité que génère cette double posture.

En effet, lorsqu’un groupe n’a pas de rythme ou de structure et qu’une personne tente d’aider à réguler, elle prend le rôle au pied levé, comme on dit, ce qui présuppose qu’elle n’a pas eu le temps de se préparer pour ce rôle. Elle doit alors concevoir l’animation au fil de l’eau, ce qui lui prend beaucoup d’énergie pour mobiliser efficacement ses connaissances.

Selon les sujets abordés, les émotions et l’ego peuvent être fortement touchés. C’est également le cas pour la personne facilitatrice-participatrice. Toutefois elle vit l’enjeu par exemple de devoir être neutre dans la régulation du groupe (liée à la posture de facilitation) et à la fois impliquée par le sujet parce qu’elle a des idées à partager (par sa condition de participante).

En effet, cette situation l’amène à être particulièrement attentive à ses propres signaux internes et à ses propres élans de partage d’idées.

En même temps, elle doit réguler le groupe, donc être attentive à ce qui s’y passe, comme par exemple les signaux faibles qui indiquent un mauvais fonctionnement ou un désaccord, ou les HAHA moments qui annoncent qu’un point devrait être approfondi.

Elle doit aussi s’assurer de challenger suffisamment les idées retenues pour valider leur pertinence.

Elle doit donc s’auto-réguler, mais tout en régulant la relation du groupe, et en s’intégrant dans la distribution du temps de parole, tout en accordant à sa parole la juste place dans le groupe.

Par ailleurs, elle doit prendre soin de la tension qu’elle peut ressentir dans cette situation et des émotions qui s’ensuivent, ce qui génère une fatigue certaine pour cette personne.

On comprend bien maintenant comme il est alors difficile de porter à la fois la casquette de la facilitation et celle de la participation. Idéalement donc, pour un ou une responsable d’un groupe (gestionnaire ou chef d’équipe, par exemple), nous recommandons de ne pas animer afin de viser le partage du pouvoir.

Relever le défi de la double posture facilitation-participation

À cette lecture, on pourrait être tenté de dire: on abandonne! 😁🤣” mais rassurez-vous, nous avons des idées à vous proposer d’ici quelques lignes.

Avant cela, nous voulions juste vous rappeler qu’en amenant les groupes à donner le meilleur d’eux-mêmes, une personne facilitatrice est une artiste qui jongle entre l’écoute authentique, la gestion de ses émotions, la capacité d’analyse des dynamiques de groupes et la capacité de créer de la confiance de façon équitable entre tous les participant·es.

Par conséquent, si elle n’est pas outillée et qu’un doute sur sa posture d’équité se fait ressentir, elle risque de cristalliser les éventuels rapports négatifs entre les membres. Leurs relations pourraient en être affectées durablement car la sécurité et la confiance au sein d’un groupe sont fragiles et délicats. Il est important de toujours favoriser l’équité entre les membres du groupe pour ne pas faire germer la sensation d’injustice et de relation de pouvoir. De plus, il est toujours plus difficile de régler les préjugés négatifs que de partir sur de bonnes bases. Ainsi, il semble précieux de s’outiller pour préserver la confiance du groupe et favoriser les rapports positifs entre les membres.

Les facilitatrice·eur·s ont donc besoin de compétences, et l’idéal est d’être outillé et formé.

Pour y parvenir, il existe des formations, sur des outils ou des techniques particuliers, comme le co-développement, le design thinking, le world café, la sociocratie, etc. Il existe aussi des formations plus globales, pour apprendre à manier les différentes stratégies afin de s’adapter aux différents contextes de facilitation (notre article).

Mais en attendant de vous former, voici comment faire face à ces situations de participation-facilitation.

Tout d’abord, anticiper autant que possible ces situations vous permettra de mieux préparer la rencontre.

L’idéal, comme nous le soulignions, est de choisir pour le groupe une personne à l’animation qui ne sera pas participante. Si c’est impossible, par exemple, car les idées de toutes les personnes sont précieuses, voici 2 solutions.

La première serait de choisir un binôme pour la facilitation. Il est préférable de ne pas avoir de personnes charismatiques du groupe dans ce binôme afin d’éviter l’influence des idées. Ils se partageront les efforts de l’animation et pourront ainsi se partager le rôle de participation.

Vous pourriez également envisager une posture d’hôte plus connue sous le nom de hosting ou art of hosting. Cette posture propose de partager la coresponsabilité du bien-être du groupe. Par exemple, elle invite chacun·e à s’autoréguler pour favoriser la collaboration, et à être vigilant·e aux situations qui émergent dans le groupe.

Pour appliquer au mieux l’une et l’autre de ces deux solutions d’animation, nous vous suggérons de choisir au préalable, en duo ou collectivement:

  • le ou les modes de partage de paroles,
  • le mode de prise de décision,
  • les points de l’ordre du jour qui seront du partage d’information, de la discussion ou de la prise de décision,
  • et ainsi ce qui est prioritaire et important pour cette rencontre.

Cela permettra d’engager tous les participant.es derrière des règles du jeu auxquelles ils adhèrent.

Et finalement, cette méthode évitera la confusion pour les participant·es, le conflit d’intérêts et la prise de pouvoir grâce à l’orientation du dialogue au travers de la facilitation.

Le bénéfice pour la personne facilitante-participante sera de maintenir durablement une bonne entente avec les autres membres du groupe, et cela même au-delà de la réunion!

Nous espérons que cet article vous apportera une approche positive de ces situations et nous vous invitons à nous laisser en commentaires les questionnements ou anecdotes qui permettraient de nourrir la réflexion collective.

Auteur·e·s: Nathalie Esain, Christelle Fournier, Christian Wirth

Sources:

Boyer, L. & Scouarnec, A. (2010). Quel management demain ?. Management & Avenir, 36, 227-230. https://doi.org/10.3917/mav.036.0227

Frantz, S. (Réalisatrice). (18 juin 2021). Les intelligences collectives: Je ne suis pas un facilitateur, je suis un hôte de conversations qui comptent. [Baladodiffusion]. Co-marketons. https://app.tumult-podcast.com/FrLF4czWyVHMP5qu6

Groupe InVivo (réalisation). (13 oct. 2020). Les signaux faibles: comment les repérer et y répondre ? [Capsule Youtube].  Groupe InVivo. https://www.youtube.com/watch?v=h1fgIWttCdE

Karpman, S. (2017). Le Triangle dramatique : comment passer de la manipulation à la compassion et au bien-être relationnel. INTEREDITIONS.

Thiga. (2021). Aha moment. Consulté le 22 août sur https://blog.thiga.co/glossaire/aha-moment/

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