En quoi le conflit peut-il être un levier pour la réussite des projets ?

Le conflit est souvent vu comme un problème à faire disparaître pour ne jamais en avoir. Ce 4e épisode propose une vision un peu différente de celui-ci.

Esther Trichard, Rachelle Baroni, Christian Wirth discutent de ce que peuvent générer les conflits lorsqu'on prend du temps pour le connaître.

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Christian Wirth : https://intelligencecollective.ca/

 

Il existe plusieurs définitions du conflit et nous avons choisi de vous présenter celles-ci qui nous semblent complémentaires par l’aspect des émotions, des ressources et l’atteinte des buts. Également, la notion d’interdépendance est centrale, il faut au minimum deux personnes. Un conflit va émerger parce que l’autre est perçu comme un obstacle. 

Un conflit apparaît lorsqu’il y a “divergences de valeurs, d’intérêts ou d’opinions, réelles ou perçues entre deux ou plusieurs parties interdépendantes qui génèrent des émotions négatives” (Poitras, 2013). Autre définition, c’est que le conflit est un “différend exprimé entre au moins deux parties interdépendantes qui perçoivent l’incompatibilité de leurs objectifs, les limites d’une ressource et, surtout, leur interférence dans l’atteinte d’un but” (Devito et al. 2014).

Dans les synonymes du conflit on peut retrouver les notions de différences, de divergences… mais ces notions font-elles nécessairement référence à un conflit relationnel ? Alors qu’est-ce que le conflit ? En fait, on observe dans les études et sur le terrain qu’il existe différents types de conflits. 

 

On peut voir deux grandes catégories: il y a des conflits « dysfonctionnels » c’est-à-dire qu’ils ont un effet destructeur, qui n’ont pas d’issue positive, ce sont les conflits relationnels. Exemple : une dispute entre personnes. Puis, il y a les conflits “fonctionnels”, c’est-à-dire qu’ils ont un effet constructif, qui vont avoir l’avantage de briser le statu quo aussi appelé conflit cognitif. Exemple: clarifier les rôles de chacun dans une équipe, les processus de travail. 

 

Dans cette perspective, le conflit cognitif va être inévitable. Il fait partie de la vie d’une équipe de travail, d’un groupe. Le modèle de Tuckman (ref), pour le nommer, décrit bien les différentes phases de vie d’un groupe dont le conflit. Ce dernier est assimilé à la période de turbulence, partie intégrante du cycle de vie d’une équipe.

Il est fort probable que face à une problématique mon angle de vue soit accès sur mon expertise, mon expérience. Les membres de mon équipe ont d’autres compétences et d’autres expériences, ils vont donc avoir d’autres points de vue sur la situation ce qui peut engendrer certains désaccords. Ce n’est pas parce qu’on est pas d’accord sur un sujet que l’un a tort et l’autre a raison. C’est deux visions qui ont le droit d’exister et de cohabiter. 

 

Ainsi, le conflit cognitif va permettre, entre autres, à soutenir le groupe à franchir des obstacles, à responsabiliser les membres, à résoudre des problématiques et à être un levier pour la réussite des projets. 

 

Du conflit à la tension

Nous utilisons le terme conflit depuis le début de cet article, mais nous pourrions aussi l’associer au mot “tension”. Imaginons  un élastique en tension. On tire d’un côté, de l’autre et si on prend conscience que l’on étend notre vision, on élargit nos points de vue alors l’élastique peut revenir à son état initial et la tension disparaît. Si chacun continue de tirer de son côté alors la tension reste ou brise l’élastique. 

Cette tension peut être créatrice et a un pouvoir transformateur, elle brise le statu quo, permet de créer de nouveaux outils, de nouvelles pratiques pour aborder les nouveaux enjeux à venir.  

Les tensions dans une l’équipe montre bien que l’équipe évolue, c’est comme dans un couple, il va y avoir au début la phase d’idéalisation, d’unité, de similitude, de même façon de penser etc. Puis on ne sait pas pourquoi mais un jour, on est pas d’accord, on ne voit pas la même chose et c’est là où l’on se rend compte que l’autre est différent de nous. On doit donc “créer du nous” pour pouvoir avancer ensemble dans ce projet. On va forger de nouveaux outils, tenter des choses que l’on n’aurait peut-être pas pensées, on cherche des nouvelles pratiques, on crée une intelligence collective. 

 

4 types de tensions

Regardons comment certaines pratiques horizontales abordent les tensions :

Les tensions stratégiques : 

Les tensions stratégiques représentent un écart entre la compréhension des personnes sur la vision, ainsi que la mission de l’entreprise ou du projet, et les projets/actions réalisées. En général la vision est l’une des premières étapes d’un projet, toutefois elle évolue, s’améliore et se peaufine. Il est donc normal que des tensions émergent. Quand on se pose des questions de cet ordre, il est alors important de revenir à la vision pour s’en réimprégner, améliorer la façon de la communiquer ou envisager de la revoir. C’est souvent lié aux questions : On fait ça pourquoi ? Quelle direction prenons-nous ? Pourquoi on fait ce qu’on fait ?

Les tensions de type gouvernance : 

Les tensions de gouvernance représentent les décalages concernant le partage des responsabilités, à qui sont attribuées les responsabilités ? On remarque ces tensions quand des responsabilités ne sont pas assumées par personne et que cela crée des blocages ou des enjeux importants dans la gestion d’un projet. Elles peuvent se repérer quand on se pose ce type de question : Qui fait quoi ? Quelles sont les obligations, les limites ? À qui dois-je m’adresser pour ça ?

Les tensions dites opérationnelles :

Les tensions de type opérationnelles sont, elles, générées par la différence entre les attentes, la compréhension, la qualité des tâches à réaliser et la façon dont elles sont réalisées ou non. On les détectera avec : Quels sont les objectifs ? Qu’avons-nous à faire ? Quelles sont les priorités ? 

Les tensions interpersonnelles : 

Quant aux tensions interpersonnelles, elles sont liées aux relations entre personnes. Ces tensions peuvent être liées à une malcompréhension, une différence de perception du monde ou des préférences comportementales parfois très différentes. D’ailleurs aujourd’hui il existe de grands nombres de tests de personnalité offrant la possibilité de mieux se connaître et d’améliorer son rapport à soi et à l’autre. On remarquera que ces tensions par les discours d’incompréhensions de l’autre, la non acceptation des valeurs de l’autre, la recherche de qui a raison ou tort.

 

Ces tensions peuvent avoir différents degrés de douleur et d’émotivité ainsi qu’aller et venir. Certaines tensions semblent aussi plus faciles à résoudre et moins émotionnelles par le détachement qu’elles peuvent susciter. Toutefois elles peuvent tout de même être prises personnellement ou cacher des tensions interpersonnelles. Il est donc important de le détecter pour mettre en place des processus générant des solutions ce qui déclenchera une transformation si celle-ci est prise en compte et résolue.

 

Une situation sous tension ? Suis-je en mesure de la repérer ? 

 

Vous est-il déjà arrivé d’entrer dans une salle où vous percevez de la tension dans l’air ? Par ailleurs, cela nous donne l’impression de déranger les personnes présentes tellement la gêne est palpable. Il en est de même lorsque nous sommes nous-mêmes en interaction, nous pouvons sentir l’instant où le ton de notre interlocuteur monte et où le débit de parole s’accélère. Dès lors, notre rythme cardiaque semble se presser, nous avons chaud : nous sommes irrités par les propos ou l’attitude de l’autre. 

 

Bonne nouvelle! Si vous êtes capables de déceler ces “symptômes”, vous êtes à même de vous auto-évaluer lorsque vous faites face au ressenti de cette tension. Ou encore, vous pourriez également être témoin de la naissance d’un vif désaccord entre deux protagonistes, attestant un dysfonctionnement de la communication interpersonnelle. Notez-vous le malaise ressenti des personnes qui font face à une telle scène ? 

 

Nous constatons que dans la majeure partie des cas, personne n’ose intervenir pensant que le problème se résorbera dans le temps. Or, nous savons que bien souvent, si l’on intervient pas, c’est souvent parce que l’on ne sait pas quoi faire. Néanmoins, l’une des pistes à explorer consiste à utiliser notre intelligence émotionnelle. Si à la lecture de ces premières lignes vous avez réussi à faire le lien avec des situations déjà vécues, alors vous avez fait preuve d’intelligence émotionnelle. Les travaux des psychologues Mayer et Salovey (1990) ont été les premiers à définir ce concept comme étant la capacité qu’ont certaines personnes à reconnaître, à comprendre et à gérer non seulement leurs propres émotions, mais aussi à pouvoir décoder par l’observation du langage verbal et non verbal les émotions des autres. Cette pleine conscience permet une meilleure régulation et adaptation de nos actions. 

 

Comment adresser les tensions pour se servir de son pouvoir transformateur 

 

Peut-on amener une saine confrontation ? Quand on parle de “saine confrontation”, c’est que l’on peut partir du principe qu’il est possible qu’une confrontation soit positive. Donc, au lieu de voir le conflit comme quelque chose que je dois éviter à tout prix (parce que j’en ai peur, parce que je veux préserver une bonne image de moi, un semblant de bonne ambiance, une certaine homogénéité, parce que je ne veux pas perdre la face et avoir raison …) ou bien aller à la confrontation pure et dure du “je gagne et l’autre perd”, et dans ce cas-ci j’impose ma vision, mes décisions aux autres.

 

En tout cas, quand je veux adresser les tensions, il est important dans un premier temps de choisir le moment propice pour les exprimer. Quand je parle de moment propice, c’est que par exemple on va éviter de s’exprimer à chaud si on se sent heurté par quelque chose ou quelqu’un. On va aussi faire en sorte qu’il y est, à ce moment-là, une certaine sécurité psychologique pour tous. On peut aussi établir des normes explicites pour traiter des conflits ce qui sécurisera l’équipe dans son ensemble. Par exemple: C’est quoi le problème? Quelles seraient les pistes de solutions ? Règles : Parler l’un après l’autre, ne pas couper la parole, laisser la personne finir son point en l’écoutant. Expliquer pourquoi nous ne sommes pas d’accord sur cette piste de solution. On peut nommer le fait que les points de vue divergent et qu’on peut discuter plus en profondeur de ce qui peut poser problème. 

 

Cela prend du temps (parce qu’on se pose, parce qu’on cherche un moment pour se parler…) mais cela aussi sera un gain de temps pour plus tard, pourquoi ? Parce qu’une tension peut finir par s’amalgamer à d’autres et devenir plus grosse et plus complexe, ou que l’on fera payer à l’autre, tout au long du conflit non réglé.  

 

Pour vous aider nous vous recommandons de ne pas personnifier le conflit et de séparer les personnes du problème. Cela n’a rien de personnel, on met l’ego de côté. On voit ce qui est le meilleur pour l’équipe et pour l’atteinte des objectifs. On parle du collectif et de la fierté de réussir des projets ensemble malgré les obstacles. 

 

Voici quelques pistes : 

  • S’adresser les choses et parler vrai

 

  • Toujours parler au “je” non accusateur, le “je” c’est s’exprimer soi, c’est s’exposer. Au “je”, parce qu’il n’y a que moi qui connais ma réflexion, ma logique. J’explique ma pensée, mes idées, ma façon de voir les choses, ma compréhension de ce qui dit l’autre. 

 

  • Tenter de maintenir le lien et les relations avant tout (conseil CNV – Marshall  Rosenberg – Thomas D’Ansembourg )

Pour cela la CNV c’est inviter à s’écouter mutuellement. Respecter la position de l’autre même si l’on n’est pas d’accord. Je ne prends plus l’attitude de l’autre contre moi, je la prends comme l’expression de quelque chose que mon interlocuteur a besoin que je comprenne. 

 

  • Privilégier de dire les choses avec tact, douceur et vous pouvez vous affirmer. 

 

En conclusion, nous avons tous un pouvoir d’agir et une coresponsabilité afin de contribuer à une compréhension claire et commune non seulement pour l’atteinte des objectifs de travail, mais aussi et surtout sur le comment voulons-nous y parvenir dans une logique d’interdépendance. 

Comme nous en avons discuté, soyons davantage intentionnels dans le fait de vouloir anticiper des enjeux conflictuels inhérents aux tensions (les 4 discutées plus haut) que pourrait occasionner la collaboration. Posons-nous les bonnes questions qui participent au fait que la synergie de l’équipe puisse porter sur l’objet du travail à produire plutôt que sur la mésentente en elle-même. Chacun·e est acteur·rice et peut influencer l’équipe de travail à s’adapter non seulement aux tâches à effectuer, mais aussi à l’évolution de cette équipe. 

Je me connais et j’ai appris à connaître mes collègues, ensemble nous développons un sentiment d’appartenance au groupe, la capacité et la confiance à relever des défis. En effet, le dépassement de ces “turbulences” nous apprend à composer avec la diversité (de vision, de personnalité, d’habitudes de travail…) et c’est en quoi le conflit est un levier, il est un atout dans le renforcement des relations interpersonnelles et l’atteinte des objectifs. 

En sommes, nous pouvons être garants de solutions ou contributaires du conflit.

Comment allez-vous aborder votre prochain conflit ? 

 

Auteur·e·s: Esther Trichard, Rachelle Baroni, Christian Wirth

Sources:

À venir

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